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Note de l’auteur
C’est Jacques Connort, le metteur en scène du spectacle, qui a eu l’idée d’adapter ce roman d’Ivan Gontcharov, Oblomov.
Comment a-t-il eu cette idée ?
Je l’ignore, et lui-même aussi sans doute : celle-ci devait flotter dans son esprit depuis longtemps.
Lorsqu’il m’a suggéré d’écrire une telle adaptation pour le théâtre, cela ne pouvait mieux tomber : depuis ma lointaine jeunesse, je connaissais cet étrange et fascinant personnage d’Oblomov, sans avoir jamais eu l’idée, ou l’occasion, de lire en effet le roman. L’occasion, je l’avais désormais.
Il m’a fallu une semaine pour le lire – lecture lente et, naturellement, ponctuée de notes et de réflexions en tous genres sur l’œuvre envisagée pour la scène.
Jacques m’avait prévenu : il n’y aura que deux personnages (le roman en contient au moins dix), Oblomov et son domestique Zakhar ; et, comme leur appartement n’aura pas de porte, il n’y aura ni entrée ni sortie...
Rien de tel que de fortes contraintes pour favoriser l’imaginaire et faire œuvre originale. Il faut croire qu’elles l’ont été ici suffisamment puisqu’il ne m’a fallu que trois semaines pour achever cette adaptation qui, tout en conservant l’esprit du roman, et surtout le caractère d’Oblomov, m’a laissé tout loisir de réinventer les scènes déjà présentes et libre d’en créer de nouvelles.
Il faut dire aussi qu’en m’attachant seulement à deux personnages, réunis sous la figure typique du duo « maître- valet », j’ai pu demeurer au cœur même du roman, et l’approfondir à ma manière et selon notre époque, en réglant pour ce duo une partition à la fois pleine de mauvaise foi et de tendresse, que sont venus inspirer, plus ou moins consciemment, ceux si célèbres de Don Quichotte-Sancho Pancha et de Clov-Hamm dans Fin de partie de Beckett.
Oblomov est de ces personnages qui tirent leur force, non de leur complexité ni d’une singulière évolution de leur caractère confronté aux épreuves, mais au contraire de leur simplicité, de cette sorte d’entêtement qui les fait tout d’un bloc et sans égard pour les jugements d’autrui. Oblomov est, de ce point de vue, à placer aux côtés de l’Idiot de Dostoïevski, de l’Étranger de Camus ou encore de Bartleby de Melville.
Porteur d’une seule idée – mais si haute, si puissante qu’elle le dresse face au monde et l’anime généreusement –, Oblomov a cette franchise et cette pureté d’âme qui nous le rendent bouleversant. À quoi bon ? À quoi bon se lever de son lit, se laver, s’habiller ? A quoi bon travailler, aimer, se jeter dans le monde pour n’éprouver que souffrance ou ennui ?...
Telle est cette simple idée, si triviale en apparence, que porte Oblomov comme un cri et qui, par un curieux paradoxe, le porte lui-même et le fait vivre. Que ce
personnage puisse, du fond de son lit, exprimer aussi simplement et puissamment la vanité de toute existence, voilà un tour de force qui fait du roman de Gontcharov une œuvre magistrale, qui défie le temps.
C’est cette « simple » idée que j’ai tâché à mon tour d’animer, cette fois pour la scène et par ses moyens propres, en espérant qu’elle trouvera, dans sa forme théâtrale, le même éclat que dans sa version romanesque – celui d’un diamant noir où le spectateur puisse contempler le reflet de ses propres méditations existentielles.
LM FORMENTIN